Source de l’image : Loi travail, non merci !
Face aux mesures évoquées par le gouvernement dans le cadre du projet de loi travail, et malgré les quelques modifications apportées à la marge, FéminiCités souhaite s’associer au mouvement social qui s’organise depuis quelques semaines pour refuser cette loi qui détruit les acquis sociaux des travailleur.se.s, et heurte particulièrement les droits de celles et ceux que nous défendons en premier lieu. Nous avons notamment pris cette décision suite à l’avis rendu par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, qui souligne “l’impact négatif” que cette loi aurait sur l’égalité de genre au travail, et au sein de la société en général, si elle était adoptée.
En effet, en tant qu’association luttant contre les discriminations et oppressions sociales qui touchent plus particulièrement les femmes et les minorités de genre, nous ne pouvons accepter un projet qui serait moins protecteur pour les salarié.e.s que les droits défendus par l’Union Européenne, qui nous paraissent déjà insuffisants, y compris au prisme de l’égalité de genre. De plus, nombre de ces mesures risquent de pénaliser particulièrement les femmes et les minorités de genre. A titre d’exemple, les Négociations Annuelles Obligatoires (NAO), qui peuvent déjà être organisées seulement tous les trois ans depuis la loi Rebsamen de 2015 sous réserve d’un accord majoritaire d’entreprise, pourraient devenir triennales suite à un accord de branche validé par seulement 30% des organisations syndicales. Cette disposition, en plus d’amplifier les logiques d’austérité salariale, aurait un impact extrêmement négatif sur l’égalité femmes-hommes puisque les mesures visant à supprimer les écarts de salaire entre femmes et hommes qui doivent être incluses dans la NAO salaire seraient reportées d’autant. Lorsqu’on sait qu’à temps de travail et métiers équivalents, les femmes touchent environ 13% de moins que les hommes selon les données de l’Observatoire des inégalités de 2013, cela a de quoi interpeller.
Une autre de ces mesures est la baisse de la rémunération des heures supplémentaires (il suffirait d’un accord d’entreprise pour que les heures supplémentaires soient cinq fois moins majorées, là où un accord de branche peut aujourd’hui s’opposer à cette baisse de majoration). Une rémunération plus faible des heures supplémentaires fragiliserait les plus précaires, et cette diminution pénaliserait en premier lieu les personnes en temps partiel, pour qui les heures complémentaires seraient désormais majorées à 10% (alors qu’actuellement elles sont majorées par la loi à 25% au-delà d’un dixième des heures contractuelles, sauf en cas de dérogation par un accord de branche). Ces personnes seraient d’autant plus pénalisées qu’avec cette loi les horaires pourraient être modifiés jusqu’à trois jours à l’avance pour les temps partiel, ce qui rendrait très difficile leur organisation au quotidien et ferait d’elles des variables d’ajustement. Or, ces emplois sont occupés à 80% par des femmes.
De plus, cette diminution de rémunération des heures supplémentaires peut être perçue comme un encouragement pour les entreprises à renforcer leur activité sans embaucher de personnes supplémentaires. Cela pourrait se traduire par exemple par des ouvertures de magasins plus tard en s’appuyant sur les heures supplémentaires, ce qui forcerait davantage de salarié.e.s à effectuer des trajets de retour vers leurs domiciles en dehors des horaires de sortie de travail et de fonctionnement de certains transports publics, en augmentant le sentiment d’insécurité et les risques d’agressions dont les femmes et les minorités de genre sont les premières victimes.
Ces craintes sont renforcées par la flexibilisation des horaires et la possibilité de diminuer les salaires sur simple accord d’entreprise, ce qui risque de forcer un certain nombre de femmes à renoncer à leur travail. Lorsqu’un des deux conjoints d’un couple hétérosexuel s’arrête de travailler, souvent pour s’occuper des enfants parce que les modes de garde coûtent trop cher par rapport à leur salaire, c’est quasiment toujours la femme. Cela est dû à la fois à des représentations bien ancrées dans l’imaginaire collectif qui rattachent les femmes à la sphère familiale, mais aussi au fait que le salaire des femmes est bien souvent inférieur à celui de leur conjoint. Le moins que l’on puisse dire est que cette mesure ne faciliterait pas une meilleure représentation des femmes dans la sphère professionnelle et publique. De plus, cette inversion de la hiérarchie des normes qui donnerait la primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et la loi risque d’entraîner d’énormes reculs pour les droits des salarié.e.s, les femmes étant en plus fortement majoritaires dans le secteur tertiaire, mais aussi dans les TPE et PME, qui sont moins bien couverts syndicalement.
D’autre part ce projet, en dérégulant le mécanisme du licenciement économique (notamment en baissant les indemnités pour les salarié.e.s lorsque le licenciement économique est déclaré nul), nous pousse à exprimer notre inquiétude quant au fait que les femmes et les minorités de genre soient les premières victimes des plans sociaux des entreprises qui pourront instrumentaliser le mécanisme du licenciement économique dans ce sens. Il va même plus loin en supprimant de nombreuses protections contre le licenciement : une entreprise pourra faire un plan social sans avoir de difficultés économiques, licencier des salarié.e.s en cas de reprise d’entreprise, un.e salarié.e qui refusera un changement dans son contrat de travail (durée du temps de travail, changement des horaires, baisse de salaire) suite à un accord d’entreprise pourra être licencié… Ces mesures rendent encore plus difficile la protection des salarié.e.s contre le licenciement abusif, et par extension contre les licenciements dûs à la transphobie, à l’homophobie, au racisme, au sexisme (par exemple en raison d’un congé maternité) et aux autres oppressions systémiques, qu’elle ne l’est déjà.
Enfin, ce projet inscrit comme principe la possibilité de limiter les droits fondamentaux par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ! C’est même avec ce principe que le projet commence, à la section 1 intitulée “Libertés et droits de la personne au travail”, on peut trouver cet article :
“Art. 1er. – Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché”.
Il nous semble extrêmement dangereux d’inscrire ceci dans la loi, car que peut encore signifier la notion de droit fondamental lorsque l’intérêt de l’entreprise prend le pas sur son respect ?
Pour toutes ces raisons, nous considérons que ce projet de loi travail représente un danger pour l’égalité de genre au travail et la lutte contre les discriminations dans la sphère professionnelle et publique. De plus, la précarité et la flexibilité du temps de travail ont de forts impacts en termes de manière de vivre la ville et de possibilité d’accès à la mobilité, aux loisirs… Cette loi n’a donc pas seulement un impact sur le monde du travail mais sur la société toute entière, et nous devons nous mobiliser pour la contrer
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