Arpentage « Des Béguinages à l’architecture féministe » d’Apolline Vranken

mercredi, mars 20, 2024 0 No tags Permalink

Le 14 mars dernier, FéminiCités était chez Violette & Co pour une lecture collective de l’ouvrage de l’architecte Apolline Vranken « Des Béguinages à l’architecture féministe« . Nous avons eu la chance d’avoir l’autrice parmi nous, et voilà ce qu’on en a retenu de nos lecture et échanges !

Cet ouvrage présente, outre un contexte historique sur les béguinages au Moyen-Âge, quatre cas de Béguinages existants aujourd’hui entre la Belgique et l’Allemagne.
Mêlant analyses historiques, sociologiques et architecturales, le livre est très accessible et richement illustré (photographies et plans) !

Couverture de l’ouvrage


Un petit peu de contexte

Dans l’histoire médiévale des régions du nord-ouest de l’Europe, des communautés féminines singulières, les béguinages, ont persisté à travers les âges, offrant un témoignage unique d’autonomie, d’engagement social et d’architecture novatrice. Ces enclaves, exclusivement féminines et semi-religieuses, pour la plupart, ont été des bastions de vie laïque pendant quatre siècles, malgré les tumultes politiques à l’époque.

Origines et structure des béguinages

À l’origine, les béguinages émergèrent dès le XIème siècle comme des réponses alternatives à la vie religieuse conventionnelle, offrant un mode de vie laïc imprégné de valeurs chrétiennes simplifiées. Ces communautés, souvent établies dans des villes, proposaient un environnement où l’engagement social cohabitait avec l’autonomie économique. Les béguinages étaient des espaces où l’on partageait non seulement des logements, des lieux de vie, mais aussi des idéaux de service envers autrui.

Ainsi des activités comme la médecine et l’enseignement sont autant de compétences assurées par les béguines pour la société, en particulier pour les publics comme les personnes pauvres, les enfants, les personnes malades, etc.).


Des figures connues et influentes, comme la Comtesse de Flandres, ont joué un rôle crucial dans l’établissement de ces communautés, par le financement et la mise à disposition de biens fonciers, démontrant ainsi leur intégration dans la sphère politique et sociale de l’époque. Plus récemment, des béguinages comme celui de Louvain-la-Neuve ont opté pour la mixité et l’accueil de couples, questionnant finalement la définition même de l’aspect communautaire.

Gestion et autonomie des béguinages

La gestion interne des béguinages, précurseur d’une forme démocratique à son époque, reposait sur des chartes de vie interne à la communauté et des élections biennales des « Grandes Maîtresses ». Cette organisation de démocratie participative, bien que novatrice, soulevait également des questions sur l’équité sociale dans le processus de sélection des dirigeantes, comme l’a souligné Apolline Vranken dans ses recherches.

Effectivement, les « Grandes Maîtresses » sont le plus souvent des femmes déjà influentes, bénéficiant d’une certaine éducation issue de leur condition sociale plus élevée. Apolline Vranken remarque
qu’il y a en fait un biais social dans les élections biennales car ce poste nécessite un certain
nombre de compétences (langues, mathématiques, insertion sociale). Elles détenaient également un patrimoine dont elles gardaient l’entière gestion en tant que béguines, affranchies de toute contrainte matrimoniale.

Entrer dans un béguinage permettait aux femmes de ne pas avoir à se marier et de ne pas avoir d’obligation juridique de ce point de vue par conséquent.

Dimension queer et typologie architecturales

Les béguinages ne se limitaient pas à des structures immobilières, mais représentaient des modèles de vie alternative et inclusive. Des œuvres comme « La nuit des béguines » d’Aline Kienner suggèrent même la possibilité d’autres formes d’amour et de sexualité au sein de ces communautés.

En termes d’architecture, les béguinages présentaient une variété de typologies et étaient implantés aussi bien dans le tissus urbains que dans les milieux ruraux. D’ailleurs, le phénomène d’étalement urbain a fini par englober certains béguinages dans la ville. A l’origine, il s’agissait de petites maisons mitoyennes sur un terrain ensuite subdivisé pour construire de nouveaux logements. Leur conception revêt finalement trois formes caractéristiques principales :

  • les villes béguinages ou les béguinages à rue qui sont faits sur plans et qui apparaissent comme une “ville dans une ville”, un quartier autonome au reste de la ville.
  • les béguinages préau qui était composés d’une maison autour de la cour. A Dortmund, les espaces communs à l’extérieur sont vraiment investis, comme par exemple les coursives, où tout le monde avait accès, plus que les balcons individuels.
  • certains béguinages sont une combinaison entre le plan de ville et le béguinage préau. Ces formes urbaines et architecturales ont inspiré notamment la conception des cités-jardins et les modèles d’habitat social avec une sensibilité pour les espaces de vie et de partage.

Les béguinages témoignent d’une réflexion sur la qualité de vie et la tranquillité de la
communauté.

En conclusion, Apolline Vranken a réalisé une grille d’analyse multicritère sur entre autres l’espace et l’éclairage, mais aussi sur la dimension sociale avec la présence de rites, de valeurs communes, d’organisations d’activités,etc. Elle parle du concept « d’architecture douce », c’est-à-dire une construction au service d’une atmosphère calme, d’un havre de paix, entouré d’un mur afin de préserver l’endroit des tumultes extérieurs.

Cependant, Apolline Vranken met en garde sur la lecture de cette grille qui ne peut pas se limiter à l’architecture. Cette dernière n’induit en aucun cas les usages, l’animation et cette organisation de vie spécifique et propre aux béguinages.

Renouveau et défis contemporains

Aujourd’hui, les béguinages connaissent un regain d’intérêt, tant pour leur valeur historique que pour leur pertinence dans le contexte moderne de l’habitat participatif.

Cependant, ce renouveau s’accompagne également de défis, notamment en matière de préservation du
patrimoine et de maintien de l’équilibre entre tradition et adaptation aux besoins actuels.
En fin de compte, les béguinages continuent d’incarner une forme unique de vie communautaire féminine, où la spiritualité, l’autonomie et la solidarité demeurent au cœur de leur essence. Leur histoire complexe et leur influence durable rappellent l’importance de préserver et de valoriser ces témoignages historiques médiévaux dans le tissu culturel de la région du nord-ouest de l’Europe.
Apolline Vranken parle des béguinages comme une forme “proto-féminisme”, car les béguines n’ont pas revendiqué le féminisme. Ces communautés n’ont pas été nommées telles quelles, mais il y avait toutefois une volonté de s’inscrire en dehors du mariage, de mener une réflexion sur l’organisation politique interne à travers et de la société et de vivre de manière indépendante économiquement.

Sans jamais s’établir à la marge et totalement en autarcie de la société, les béguinages ont réussi à s’établir en interdépendance.

Pour retrouver l’ouvrage complet d’Apolline Vranken, c’est par ici (et c’est gratuit !)

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