Peut-il n’y avoir qu’un seul féminisme ?

mercredi, décembre 14, 2016 0 No tags Permalink

Inès Saab

L’examen des transformations, mutations et histoires du féminisme occupe un vaste sujet d’étude, à la fois riche et complexe. Pour saisir les enjeux définitionnels et critériologiques du féminisme, il est nécessaire d’en revenir aux racines de ce mouvement social qu’il tire dans la lutte contre les injustices faites aux femmes et qui s’est donné pour objectif et ambition de transformer la société par l’abolition de rapports sociaux inégalitaires entre femmes et hommes. Le féminisme a une vocation et une démarche dans un premier temps, libératrice (qu’elle soit individuelle et collective) mais aussi redéfinitionnelle puisqu’il s’agit d’interroger les rapports sociaux de sexe et de genre. Afin de saisir de façon assez large ce que l’on entend par féminisme, nous pouvons dire que le féminisme se définit comme un mouvement de lutte-s pour la reconnaissance, l’autodétermination, la participation politique, l’acquisition puis le respect des droits des femmes. Etre féministe relève dans un premier d’une prise de conscience lucide d’un système particulier dominant qui opère une domination, une violence et oppression collective particulière sur les femmes parce qu’elles sont femmes. Cette prise de conscience de cette domination, de cette violence, et oppression peut émerger de par des expériences vécues et subies de manière plus ou moins personnelle, ou observées, constatées. S’il est tout d’abord un exercice de la pensée, le féminisme est aussi un véritable exercice politique et de lutte sociale qui a sa propre puissance et capacité d’agir.

Le féminisme a défini ses propres enjeux théoriques, politiques, enjeux et moyens d’action, ce qui induit donc qu’il a ses propres dynamiques et effets au sein de la société. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les concepts de genre, de patriarcat puis plus tard d’empowerment ont permis de mieux cerner les enjeux de l’émancipation féminine, ce qui a notamment permis au féminisme d’élargir sa définition et ses objectifs. Le féminisme a aujourd’hui de nombreux courants théoriques et d’action : nombreux sont les points de vue, les moyens d’action et positions au sein du mouvement féministe (féminisme radical, féminisme marxiste, afro-féminisme, féminisme islamique, féminisme intersectionnel, féminisme abolitionniste ou réglementariste, etc.). Cette diversité au sein du féminisme est à double tranchant : elle est en effet à la fois sa richesse mais elle est aussi la source des reproches et désapprobations adressés le plus souvent au féminisme. Les débats sur la diversité dans le champ du féminisme et du militantisme féministe ont cherché bien plus à le discréditer qu’autre chose. Et pourtant c’est cette même diversité qui semble nécessaire : cette multiplicité des spécificités et des revendications au sein du féminisme est le reflet de la diversité même des femmes, de leurs expériences et réalités vécues et subies. La domination, l’oppression et la violence sociale faite à l’égard des femmes est constante, s’étend à toutes les femmes et se traduisent à travers discours et pratiques au sein de tous les espaces sociaux, qu’ils soient privés ou publics. Seulement, on ne peut nier le caractère co-construit de différentes formes de discrimination sociale, qu’elles soient à l’intersection du genre, de l’orientation sexuelle, de la classe, de l’origine ethnique, de la religion, de l’handicap (physique et/ou mental), c’est pourquoi l’égalité entre femmes et hommes mais aussi au sein même du groupe social que constitue les femmes a été et est toujours une égalité successorale : toutes les femmes n’ont pas accès aux mêmes opportunités et privilèges.

C’est notamment par le concept de privilège (qui est au coeur de la pensée féministe intersectionnelle) que les recherches et mouvements sociaux ont pu penser la multiplicité et la convergence de formes de discriminations. L’émergence du concept de privilège va permettre de révéler les liens entre sexisme et autres formes d’oppression existantes dans la société, et par conséquent les liens entre féminisme et diversité ethno-culturelle, religieuse, sexuelle, etc. Le privilège permet en effet de mettre en exergue des conditions où les accès aux droits, opportunités et chances sont plus faciles et accessibles que pour d’autres conditions. Ce concept de privilège concerne une classe dominante, mais ne concerne pas forcément une classe majoritaire. C’est pourquoi la multiplicité des collectifs et mouvements féministes est aussi révélatrice : il s’agit de donner une voix aux femmes issues de groupes ethniques immigrés, / de milieux sociaux défavorisés, / faisant face à l’handicap face à un système et tissu social qui a tendance à les ignorer. Il semble donc qu’il ne peut pas y avoir qu’un seul féminisme et que l’essence du féminisme réside alors dans sa pluralité, permettant à toutes les femmes de s’exprimer, quelle que soit leur condition.

Pour que le bien-être & développement personnel de toutes les femmes puisse être effectif, il semble qu’il faut insister de façon marquante sur l’intégration de femmes de diverses origines ethniques, confessionnelles, sociales, etc. L’insertion dans plusieurs rapports sociaux et dans plusieurs systèmes de domination (sexisme, racisme, capitalisme, etc.) de certaines femmes les amènent par conséquent à une marginalisation sociale, politique, citoyenne, etc. Ceci nous oblige alors à repenser les rapports sociaux mais aussi les espaces publics, principaux médiums de représentation sociale des femmes qui représentent nullement la diversité des femmes, des situations, des expériences et de leurs caractéristiques subies et vécues par celles-ci.

La convergence des luttes et le pluralisme ethno-culturel dans le féminisme sont de véritables enjeux de réflexion théoriques et pratiques et sont nécessaires  à l’émergence d’une société plus inclusive. Véritable question d’intérêt général, l’insertion de certaines femmes dans plusieurs rapports sociaux menant à de multiples formes de discrimination et systèmes d’oppression ne peut plus être ignorée. Ainsi, la question de la multiplicité des courants et mouvements féministes semble donc évidente : on ne peut parler de féminisme, mais de féminismes, et donc de féminismes permettant l’examen des subjectivités, histoire et identité de toutes les femmes, incluant donc celles se situant à l’intersection de plusieurs catégories de différence et de marginalisation.

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